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    Dépendance et attachement

    Laurent FILLIT

    Winnicott met en avant le paradoxe selon lequel pour qu’un enfant ait l’impression de créer son environnement, il faut que l’environnement soit déjà présent. Pour que cette illusion opère l’entourage de l’enfant doit disposer d’une suffisante capacité adaptative pour répondre aux besoins de l’enfant.
    La fiabilité de la réponse de l’environnement proche de l’enfant va lui permettre d’augmenter sa capacité à l’attendre. Lors de ces moments de creux interactifs entre l’enfant et son environnement, l’enfant investit son monde interne et créer ses propres objets d’attachement puis de désir. C’est parce que ce monde interne est en congruence avec la qualité des liens qui se sont tissés avec son entourage qu’il n’en ressent pas de dépendance. Parallèlement, l’enfant va découvrir grâce à ce vécu qu’il possède ses propres ressources.
    Cet auto-érotisme va jouer un rôle très important dans la construction de son narcissisme. Si ce dernier est mis à mal dans la relation à ses parents et qu’il se sent frustré, il peut alors retrouver ses objets d’attachement qui lui permettront de prendre de la distance par rapport à cet événement. Ces ressources internes proviennent de l’intériorisation des expériences de plaisir de l’enfant.
    Cette intériorisation s’effectue notamment par un intermédiaire que Winnicott appelle l’objet transitionnel. Lorsque les relations sont trop peu satisfaisantes l’objet transitionnel cesse de jouer son rôle.
    « Quand la mère est absente pendant une période qui dépasse une certaine limite… le souvenir de la représentation de l’objet interne s’efface et l’objet transitionnel est dans le même temps désinvesti, perdant sa signification. Juste avant que la perte soit ressentie, on peut discerner, dans l’utilisation excessive de l’objet transitionnel, le déni de la crainte que cet objet perde sa signification.» Winnicott 1975
    Ce moment de surinvestissement de l’objet transitionnel met en évidence le noyau de fixation qui pourra induire plus tard le recours à un objet mortifié, un comportement ou un toxique face à une menace de perte.
    Plus l’entourage est disponible et prévisible, suffisamment bon, dirait Winnicott, plus l’enfant apprend qu’il peut se passer de lui.
    A l’inverse, plus les personnes qui s’occupent de cet enfant préviennent toutes ses demandes ou au contraire le font attendre désespérément moins il pourra faire l’expérience d’un sentiment de sécurité interne. Il se sentira impuissant et dépendant de son environnement. L’enfant peut alors tenter de se conformer à l’image qu’il se fait de ce que ses parents attendraient de lui ou au contraire devenir tyrannique pour tenter de prendre à son tour le contrôle sur son entourage. Quel que soit la stratégie adoptée, le but reste le même : lutter contre une angoisse d’abandon qui le confronterait à un insoutenable vide interne.
    A l’adolescence l’accès à la génitalité entraîne un rapproché entre les générations. Ce rapproché plus ou moins empreint d’incestualité, d’angoisse d’intrusion, va pousser l’adolescent à renoncer à ses premiers objets d’investissement. Cette force centrifuge, dont le principal enjeu est celui de la séparation-individuation va progressivement l’emmener à s’investir dans des relations extra-familiales. La perte ou le renoncement de ses objets d’investissement infantiles entraînent un important travail de deuil qui s’accompagne de mouvements dépressifs plus ou moins importants caractéristiques de cette période.
    Lorsque l’enfant vit une relation de dépendance à ses parents et qu’il devient adolescent, le renoncement nécessaire à ses objets d’attachement primaires est impossible et, en même temps, le rapprochement intergénérationnel consécutif aux mouvements pubertaires va devenir de plus en plus insupportable. Il se retrouve ainsi pris entre le marteau et l’enclume, entre une angoisse d’abandon infantile et une angoisse d’intrusion provoquée par des fantasmes inconscients incestueux. Ces deux angoisses vont alors s’alimenter l’une l’autre et peuvent atteindre leur paroxysme lorsque l’attachement aux figures parentales a été trop insécure durant l’enfance. L’adolescent ne supporte plus de dépendre de ses parents et, en même temps, est incapable de gagner en autonomie.
    Pour court-circuiter ce rapport à soi et à l’autre devenu trop dangereux, trop douloureux, l’adolescent peut avoir recourt à un comportement addictif pour obtenir certaines satisfactions, apaisements sans avoir besoin de passer par les figure parentales, auxquels il a cessé de croire, ou par des ressources internes qu’il n’a pu développer.
    Cette conduite tente de maintenir l’illusion de la permanence d’un objet de réassurance qui ne peut plus être investi et que le sujet n’a pu intérioriser. Cet objet vient se substituer partiellement aux relations de dépendance qu’il entretenait avec ses objets d’investissements primaires en lui procurant une pseudo indépendance, sentiment de liberté, de maîtrise, d’autosuffisance voir d’omnipotence, « je gère !… ». D’une position d’objet de dépendance aux figures parentales, il se ressent, du moins un temps, autonome dans la rencontre avec l’objet addictogène. Il substitue ainsi par inversion une position de dépendance environnementale dont il était l’objet à une position de dépendance à un objet dont il se sent illusoirement le maître.
    Les conduites addictives peuvent êtres ainsi comprises comme une tentative de régulation psychique face aux angoisses d’abandon que génère l’épreuve de séparation-individuation qui se joue à l’adolescence. Par la suite, l’individu devenu adulte pourra également vivre chaque moment de séparation comme un nouvel abandon. Ces angoisses d’abandon sont d’autant plus massives que le lien qui l’unissait à ses figures parentales était insécure.

    Extrait du Texte de base ayant servi à l’écriture du chapitre « dépendance et attachement » publié dans : L’aide mémoire en Addictologie, Ed. Dunod, Paris 2010